Depuis plusieurs semaines déjà, les équipes de Pop’ Média travaillent à la réalisation d’une fiction sonore, ayant pour sujet central, l’assistanat sexuel des personnes en situation de handicap.
Toujours dans la même volonté d’expliquer et de mieux comprendre ce que les personnes en situation de handicap vivent au quotidien, nous avons rencontré Audrey Hervouet, psychologue clinicienne et formatrice auprès des professionnels du médico-social. Depuis deux ans, elle complète sa formation et a repris des études dans le domaine de la sexologie.
Comment en êtes-vous venue à travailler sur le sujet de l’assistance sexuelle ?
Lorsque j’ai commencé à travailler au sein d’un foyer de vie pour l’association Handi-Espoir, rapidement les résident·es ont constaté·es, que j’avais une position peut être un peu différente de ce à quoi ils et elles étaient habitué·es, lorsqu’il s’agissait de parler de sexualité. Après quelques mois de prise de poste, un jour, un résident frappe à mon bureau et me demande :
Comment on fait quand on est handicapé pour faire l’amour ?
Avec un brin d’humour, je lui réponds que ça tombe bien car je viens de rédiger un mode d’emploi, je lui tends une feuille vierge. Il est évidemment surpris ! Je lui rétorque qu’il n’existe aucun manuel, mais que nous pouvons parler de ce qui le questionne, de ses désirs, ses envies …
À la suite de notre échange, j’ai réalisé que j’étais désormais mise à la place de celle qui détient le savoir sur ce sujet ou tout du moins, celle à qui on vient se confier !
Au sein d’Handi-Espoir, j’ai pu avoir une grande liberté de pratique, chose qui n’est pas forcément possible dans toutes les structures. J’ai pu, au fil des années, développer des axes de travail avec les personnes en situation de handicap, ce qui n’a fait que renforcer mon engagement militant autour de la question sexualité et handicap.
Épanouissement sexuel : À quoi les personnes en situation de handicap ont-elles accès aujourd’hui en termes d’accompagnement ?
L’accompagnement est très variable et dépend de l’institution et des professionnel·les présent·es. La question de la sexualité n’étant pas encore un sujet abordé en formation, les professionnel·les répondent bien souvent, avec leurs propres références ; ce qui norme inévitablement la sexualité selon les critères de chacun·e.
Selon moi, l’accompagnement des PSH devrait s’élargir à différents champs d’action : l’éducation sexuelle, le développement du lien social, et l’accès à des aides techniques.
Quelles sont les limites des propositions actuelles ?
En ce qui concerne l’éducation à la sexualité, les limites se jouent dans l’inégalité des lieux, dans le fait que pour certains et selon les difficultés, il faut recevoir plusieurs fois les informations et sous différentes formes pour bien les intégrer ; il faut bien souvent réadapter les outils déjà existants pour qu’ils soient réellement efficients et correspondent bien à la compréhension de la personne.
Le sextoy apporte une réponse évidente d’accès à son propre sexe, mais il pose souvent des questions pratico pratiques : « Qui le positionne si la personne n’est pas en capacité de le faire ? Qui l’allume ? Qui le lave ? »
Ces interrogations génèrent donc des freins et des débats au sein des équipes soignantes qui ont la plus part du temps pour conséquence un abandon de la proposition.
Dans votre quotidien de psychologue, de quelle manière intégrez-vous ce sujet à votre pratique ?
Mon premier travail a été de trouver des outils et des supports ludiques pour aborder la thématique. Ainsi, les résidents ont pu s’inscrire à des ateliers en fonction de leurs intérêts : jeux, temps éducatifs…
Au fil des échanges, des questions récurrentes m’étaient posées : « Puis je inviter une personne dans ma chambre la nuit ? » , » Comment faire si je veux faire des achats liés à la sexualité sans que mon tuteur le sache ? «
Afin que chacun·e puisse avoir le même niveau de connaissance, j’ai proposé des ateliers qui abordaient les droits et la sexualité. […]
Plus que la gêne que peu générer parfois le sujet de la sexualité, la question de la famille revenait souvent. […] En effet, les personnes en situation de handicap restent marqués par l’image que leurs familles, et plus largement la société, ont d’eux : c’est à dire des êtres dépourvus de désirs et de sexualité*.
Cheminant toujours, dans une volonté d’accompagnement, j’ai aussi créé une formation dédiée aux équipes soignantes. Nous avons travaillé sur leurs représentations personnelles, la législation, le repérage des violences sexuelles, l’impact de l’institution sur la prise en charge de la sexualité, les outils, les réponses possibles, …
J’ai également questionné la position de la femme. Celles que j’ai pu accompagner en consultation n’ont pas de suivi gynécologique.
Ce n’est que s’il y a un symptôme que l’on prend rendez-vous pour elles.
J’ai pu réaliser que celles-ci sont d’abord perçues comme des personnes handicapées avant d’être considérées comme des femmes.
Aussi, nous avons essayé de mettre en place « Handigyneco ». En sollicitant des sages femmes à venir faire les consultations au sein de l’institution* les objectifs étaient variés : libérer la parole sur la sexualité, faire de la prévention… […]
Aujourd’hui, les patients m’associent rapidement à l’accompagnement sexuel, lorsque de nouvelles personnes me consultent, je me présente avec cette double casquette : psycho et sexo.
À travers des questionnements et les constats des problématiques, j’ai pu développer un engagement militant. J’ai vite compris que pour que les choses évoluent, il fallait le faire au-delà de l’institution. J’ai donc intégré l’association Ch(o)se qui milite notamment pour l’accompagnement sexuel et rejoint l’équipe de Radio Roue Libre.
D’un point de vue psychologique et de par votre expérience professionnelle, quelles sont les conséquences de « la négation », consciente ou inconsciente, de la sexualité des PSH ?
Pour certain·es, la vision asexuelle de la société ou infantilisante des familles a totalement été intériorisé et les PSH mis de coté cette part d’elles-mêmes dont on leur a dit ou fait comprendre qu’elles n’y auraient jamais accès. D’autres s’en accommodent et jouent le double jeux. Devant la famille les PSH restent l’enfant mais à l’abri de leurs regards, ils ou elles développent une sexualité et expérimentent ; cela vient toucher à des enjeux de conflits de loyauté.
Pour les PSH, s’opposer à son parent, s’affirmer est bien souvent compliqué : ils ont peur que cela génère une brouille qui aurait des conséquences sur les sorties en famille par exemple. Généralement, les parents incarnent le lien social et le lien vers l’extérieur.
Il y a encore beaucoup de chemin pour travailler sans les infantiliser, nous sommes encore loin de l’autodétermination en institution. Pendant longtemps, c’est le discours médical qui primait, faisant figure d’autorité. Les soignants incarnant cette autorité parentale ; ainsi même adulte, les PSH sont toujours dans cette posture de l’enfant qui doit se plier à ce que dit l’autre, et la rébellion est difficile.
D’après vous, en quoi un podcast, une fiction sonore, peut aider à valoriser le sujet de l’assistanat sexuel ?
Cela permet déjà de parler du sujet, de modifier les représentations et les a priori. Bien souvent, on confond assistance sexuelle et sexualité, voir même rapport sexuel. Pourtant, le rapport sexuel, à proprement dit, n’est qu’une partie minime de l’assistance sexuelle. Je vois plus cet accompagnement comme une réponse possible, mais pas obligatoire, qui s’inscrit à la fois sur un versant d’aide technique et éducatif ou pédagogique
Une fiction sonore peut permettre d’humaniser la thématique. L’auditeur va être plongé dans une histoire, ce format devrait plus parler aux personnes qu’un long plaidoyer sur le sujet.
Mon côté militant espère forcément que cette nouvelle série de podcasts va ajouter une pierre à l’édifice. J’aimerais que cela aille au-delà de la simple découverte du sujet de l’assistanat sexuel, que cela modifie l’image qu’on pourrait en avoir et l’envisager enfin comme une possibilité de réponse.
*PSH : Personne en situation de handicap
*L’ange et la bête, Représentations de la sexualité des handicapés mentaux par les parents et les éducateurs, GIAMI, A. & HUMBERT – VIVERET, C & LAVAL, D, Ed. Geral – Ministère de la santé, 1982, 127 pages
*handicap physique ne permettant pas d’être sur table consultation gynéco)